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JACQUES LANGUIRAND, LE PHILOSOPHE « TRIPATIF »
15 Juillet 2007

 

Par Céline Petit-Martinon

 

Mon ami Jacques Languirand est un personnage des plus connus du Québec, mais aussi des plus fascinants. On l'aime ou on ne l'aime pas, mais il ne laisse personne indifférent. Comme la plupart des figures marquantes que j'ai le plaisir de vous présenter dans cette chronique, j'ai connu Jacques à l'époque des Compagnons de Saint-Laurent à la fin des années 40. Impossible de vous résumer ce « personnage » à nul autre pareil. Pour compléter notre rencontre et en savoir plus sur Jacques, voyez quelques suggestions de livres récents en fin d'article.

 

 

Une enfance difficile

 

Jacques est né à Montréal le 1er mai 1931. Sa mère Marguerite Leblanc décède alors que Jacques n'a que deux ans. Son père Clément Languirand dit Dandurand se remariera à Gabrielle Gauthier en 1935.

 

Jacques me dit que c'est sa grand-mère qui a joué un rôle important dans sa vie en le consolant et en lui chantant des berceuses, en lui apprenant, sans qu'il en soit conscient, la détente.

 

De son enfance tumultueuse, il dit : « Je voulais m'affirmer et j'ai été un délinquant. » Il a toujours été en conflit avec son père. Il poursuit, un étrange sourire sur ses lèvres : « J'ai voulu tuer mon père, et lui aussi sans doute, mais on ne l'a pas fait ni l'un ni l'autre », laissant échapper un grand éclat de rire que vous connaissez… L'éternel complexe d'Œdipe. On trouve tout au long de la vie passionnante de Jacques cet éternel conflit que même la mort de son père ne saura régler. Il étudie à Montréal et à Acton Vale, puis passera quelques années au Collège Saint-Laurent, d'où, dit-il, on l'a mis à la porte.

 

C'est en 1948 que je l'ai connu au Théâtre des Compagnons de Saint-Laurent, situé rue Sherbrooke à l'angle de la rue de Lorimier, dans une ancienne église protestante. J'étais une élève de l'École de théâtre des Compagnons. Un jour, le père Legault me propose de prendre la responsabilité de costumier et j'y suis restée trois ans.

 

C'était l'époque où s'y trouvaient Yves et Jacques Létourneau, Aimé Major, Denise Pelletier, Georges Groulx, Paul Dupuis, Guy Hoffman, Lucie de Vienne Blanc, Hélène Loiselle, Lionel Villeneuve, Gaétan Labrèche (le père de Marc), Robert Rivard (le père de Michel), Hubert Loiselle, Kim Yaroshevskaya et bien d'autres. C'est à cette époque que Jacques a la piqûre pour le théâtre. En travaillant au Savoy Café pour gagner sa croûte, Jacques y fera des rencontres importantes pour ses futurs projets à Paris, soit celles de Jacques Normand et de Charles Aznavour.

 

 

À la découverte de Paris

 

Déjà Jacques Languirand n'avait qu'un rêve en tête : aller rejoindre à Paris un copain, François Moreau, et tenter d'y faire du théâtre. En juin, ayant réussi à amasser le prix de son billet sur un cargo mixte, le SS Rouen, il compte bien être à Paris pour fêter le 14 juillet. On est en 1949 et ce sera son premier mais non son dernier voyage à Paris. Il y restera jusqu'en 1953 où il prendra, entre autres, des cours de mime avec le célèbre mime Decroux, à l'Atelier de Charles Dullin, et surtout, il fréquentera assidûment les théâtres de Paris.

 

Grâce à une rencontre avec Guy Beaulne qui terminait son contrat comme correspondant de Radio-Canada à Paris, Jacques aura la chance de le remplacer. Il travaillera aussi à la RDF sous la direction de Pierre Emmanuel, qui sera l'un de ses premiers guides dans le milieu journalistique français.

 

Jacques écrit dans un article de 1952 : « À Pierre Emmanuel, je dois une autre leçon : il m'a appris ce qu'est un poète, à travers lui, j'ai compris la différence qui existe entre un poète et un écrivain. » C'est aussi à Paris qu'il retrouve Hubert Aquin, qui deviendra l'un de ses meilleurs amis, ainsi que François Hertel et d'autres artistes québécois de passage en France.

 

L'année 1953 sera très difficile pour lui. Malade, il devra avec regret revenir au Québec. Lui qui était allé à Paris pour devenir comédien, il n'aura jamais joué en quatre ans malgré tous ses efforts pour s'intégrer dans le milieu du théâtre.

 

Pendant deux heures, Jacques m'égrène avec nostalgie sa vie si pleine en rebondissements et évènements spectaculaires, mais jamais ennuyeuse. Je l'ai rencontré à diverses époques et comme nous avons beaucoup d'amis en commun, c'est donc facile pour moi de le suivre dans ses souvenirs.

 

De retour au Québec, il est embauché à Radio-Canada et y rencontrera à l'automne celle qui deviendra sa femme et la mère de ses deux enfants, Yolande Delacroix-Pelletier. Yolande a une solide connaissance des beaux-arts de Montréal et est dessinatrice de costumes et maquilleuse à Radio-Canada. Déjà, au printemps 1954, l'envie folle de vivre à Paris le reprend. Durant l'été, Yolande le rejoint et c'est en octobre qu'ils s'y marieront.

 

 

Un grand communicateur

 

Jacques est un conteur-né, un communicateur unique, un vulgarisateur aussi prestigieux que Fernand Séguin l'était pour la science, mais c'est aussi un dramaturge, un comédien, un poète et surtout, un passionné.

 

Comment Jacques fait-il pour nous tenir en haleine en nous racontant depuis trente-cinq ans « Parrrrrrr quatre chemins », à la radio de Radio-Canada, des milliers de livres ? Passant du théâtre à la philosophie à l'ésotérisme et à la musique, aucun domaine ne lui résiste et nous sommes entraînés avec joie comme lorsque, enfants, nous montions et descendions dans les « montagnes russes » au parc Belmont, en retenant notre souffle. Nous plongeons dans des gouffres et, un instant plus tard, il nous amène dans les étoiles. Ouf !

 

 

Centre Mater Materia en Estrie

 

C'est en 1980 qu'avec Yolande, Placide Gaboury – Jacques dit de lui : « Si j'avais un frère, ce serait lui » – et quelques autres amis, Jacques ouvre ce fameux centre de réflexion et de recherche qui attirera des centaines de jeunes adultes pendant cinq ans. Très bien situé au fond des bois, entre Cowansville et Bromont, le Centre fut un lieu de rencontres uniques.

 

 Il s'y tenait des séminaires de fin de semaine où le brassage d'idées, de méditation, de croissance et d'action laissait à tout un chacun un éventail de voies pour ses recherches personnelles. Jamais rien n'était imposé. Pour ceux qui ont dit que Jacques était un gourou, c'est bien mal le connaître. Jacques prenait tout au sérieux, mais il ne s'est jamais pris au sérieux !

 

C'était l'époque où la Californie allait devenir le chef de file d'une révolution aux perspectives planétaires. Plusieurs d'entre nous avaient lu le fameux livre de Marilyn Ferguson, Les enfants du Verseau, paru en français chez Calmann-Lévy en 1980. Il y est question de nouveaux paradigmes : thérapies alternatives, santé holiste, éducation transpersonnelle, conscience écologique, expansion de la conscience, etc. Au Québec aussi c'était la découverte de tous les mouvements alternatifs.

 

Le Centre, par la grande diversité de ses ateliers, nous fit découvrir des personnages importants au Québec dont Placide Gaboury, philosophe, écrivain, musicien et grand humaniste. Placide, Jacques et quelques amis ont fait des expériences psychédéliques, mais comprirent vite les limites et les dangers des drogues. Comme d'autres chercheurs de l'époque, ils se tournèrent vers l'Orient bouddhiste, le soufisme, qui déboucheront sur la mystique, source de toutes les expériences spirituelles.

 

C'est au Centre que nous découvrîmes les Denise Roussel, psychologue s'intéressant à la symbolique du tarot, Madeleine Turgeon, N.D., une des premières à nous présenter la réflexologie, et bien d'autres chercheurs d'avant-garde dont on trouvait les ouvrages aux Éditions de Mortagne, aux Éditions Minos de Jacques Languirand et aussi aux Éditions du non moins célèbre Alain Stanké, grand ami de Jacques.

 

 

Une vie multiple

 

Jacques l'infatigable vit avec passion mille et une vies. Jamais il n'arrête. Il a écrit des dizaines de livres et de pièces de théâtre, mais, comme nul n'est prophète en son pays, il a été joué encore plus à l'étranger qu'ici. Pour ceux qui le connaissent peu, il semble fonceur; il l'est sans aucun doute, mais c'est en même temps un être d'amour extrêmement fragile et que l'on peut blesser sans le savoir. C'est un colosse aux pieds d'argile.

 

En août 1993, il est invité à participer à une tournée internationale de six mois avec la troupe du Théâtre Repère, sous la direction de Robert Lepage. Vous aurez l'occasion de vivre ce voyage fascinant, vrai voyage initiatique, grâce au livre de Jacques Les voyages de Languirand ou Le journal de Prospéro3.

 

Après avoir quitté les planches pendant trente ans, Jacques accepte le défi fou de joindre au pied levé cette troupe où il ne connaît personne sauf Robert Lepage, sans doute merveilleux fou autant que lui !

 

Il y portera la livrée de Shakespeare et y défendra le rôle de Prospéro dans la tempête, celui du portier dans Macbeth et de Ménénius dans Coriolan. Est-ce folie ou sagesse ? C'est son destin, il ne doit pas s'arrêter. Comme tous les capitaines au long cours, il poursuivra « sa voie » par mille chemins !

 

L'année 1997 fut la plus éprouvante de sa vie. Le vide de la mort se fait autour de lui. Il verra avec angoisse partir ses plus grands amis : Ambroise Lafortune, Normand Hudon, Georges Groulx, Jacques Cannetti, Louis Pauwells, Robert Lapalme, Gérard Pelletier. Et, dernier choc qui le mettra K.O., Yolande fait une embolie cérébrale le 22 juin et meurt le lendemain.

 

– C'était trop : j'ai passé les trois mois suivants complètement stoned dans tous les sens du terme.

 

– Jacques, qu'est-ce qui est le plus important pour toi maintenant ?

 

– Mon slogan maintenant c'est : être utile et agréable ! Quand je ne suis pas utile, j'essaie d'être agréable et quand je suis agréable, j'essaie d'être utile ! De plus en plus, en prenant de l'âge, je m'inquiète des autres, auparavant je m'y intéressais…

 

– Est-ce que la mort te fait peur ?

 

– Non, car j'y ai beaucoup réfléchi, j'ai écrit des articles là-dessus et lorsque j'ai fait un anévrisme de l'aorte en juin 1998 – c'était le septième depuis 1992 – j'ai subi une intervention de six heures et demie. L'attente avant l'opération a été longue, pénible et très angoissante, car on me donnait une chance sur deux d'en revenir.

 

– À ce moment-là, avais-tu des regrets ?

 

– Non, pas vraiment, car c'est à ce moment-là que j'ai fait la paix avec moi-même. Et j'ai eu la chance d'avoir une excellente compagne qui partage ma vie depuis huit ans, Nicole Dumais, qui était près de moi, ainsi que mes deux enfants, Pascal le musicien et Martine qui me seconde dans certaines de mes entreprises. Et aussi la joie que m'apportent mes trois petits-enfants, Julie, Alexis et Mimi, les enfants de Martine.

 

Actuellement les circonstances font que je suis entouré de gens relativement jeunes, des créateurs, des cinéastes, des écrivains, ce qui me permet de poursuivre mes projets, de rester dans l'action, mais de vivre mon « ici et maintenant ». J'ai découvert que le sens de la vie consiste à le chercher !

 

Comme tu vois, je ne peux m'empêcher de continuer à travailler dans ce que j'aime et j'ai beaucoup de plaisir à poursuivre « Par quatre chemins » tous les dimanches soirs à Radio-Canada et entre autres à participer à l'aventure de la série télévisée « Les citadins du rebut global », qui passe à Télé-Québec en ce moment.

– Merci Jacques, ne lâche surtout pas, tu es un exemple merveilleux de joie de vivre.

 

 

 

1 Chez Libre Expression, une excellente biographie de Languirand par Claude Paquette.

2 Chez Flammarion. Dans un livre dynamique de la journaliste de Radio-Canada Catherine Bergman, « Il faut rester dans la parade ! » Comment vieillir sans devenir vieux, Languirand est un des trente et un personnages extraordinaires de chez nous pour qui le vieillissement n'est pas un problème !

3 Aux Éditions Stanké : Les Voyages de Languirand ou le journal de Prospéro. Jacques en tournée internationale avec la troupe du Théâtre Repère et Robert Lepage. Un véritable voyage initiatique.

On trouvera une bibliographie complète de Jacques Languirand et une bonne partie de son œuvre dans son site Internet. Plus de 8 500 pages et plus de 600 heures de fiches audio et vidéo. www.radio-canada.ca/par4

 

Céline Petit-Martinon

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