QUAND L’OFFRE EST PLUS IMPORTANTE QUE LA DEMANDE…

L

a récente fermeture de la résidence pour personnes âgées (RPA) Monaco vient s’ajouter aux malheurs qu’ont connus récemment certains gros promoteurs. Taux d’inoccupation élevé, resserrement des critères par les prêteurs, rareté démographique relative des principales personnes visées par les RPA (soit les 75 ans et plus), hausse potentielle des salaires… Autant d’éléments, parmi d’autres, qui viennent brouiller les cartes dans le marché des RPA (1) …

Dans un article consacré à cette résidence, André Dubuc parle de « surabondance de l’offre », de la nécessité de « rendre la résidence au goût du jour », de la perte de revenus… La fermeture de certaines autres RPA dans un futur plus ou moins rapproché serait donc à prévoir (2).

Changement de vocation

Yves Desjardins, du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), confiait récemment à un journaliste que

Notre force, c’est la souplesse, et c’est connu que le secteur privé est capable de réaliser les meilleures choses à meilleur coût (…). Avec des moyens assez souples, le secteur privé possède cette force de s’adapter rapidement, de se tourner sur un dix cents et de présenter une offre de services qui est beaucoup moins coûteuse. (3)

On devrait ajouter que l’une des façons qu’ont les gestionnaires de RPA de se « tourner sur un dix cents » est de changer d’un coup la vocation de leur RPA, comme l’a fait récemment le nouveau propriétaire de la résidence Dickson (2). Mais le processus peut aussi être graduel, comme l’explique Johanne Cottenoir, responsable des ventes pour Aînés Hébergement :

Dans certaines résidences d’aînés, les gestionnaires décident tout bonnement de transformer les appartements en condos à mesure que les résidents quittent les lieux. Il va sans dire que ceux qui demeurent en place finissent par prendre conscience du changement graduel de leur milieu de vie et que certains d’entre eux n’hésitent pas à aller voir ailleurs…

Ainsi, le défi est de taille pour plusieurs RPA dans un contexte de « surabondance de l’offre »…

« Magasiner » son milieu de vie…

Les récentes fermetures des résidences Monaco et Dickson, ont mis les résidents de ces deux RPA dans l’obligation de se trouver un nouveau logement. Dans ce contexte, l’image qui nous vient à l’esprit est celle de personnes âgées démunies pour qui le déménagement forcé constitue un défi de taille compte tenu de leur fragilité, surtout si, dans certains cas, on ne leur donne pas suffisamment de temps… Mais les personnes âgées ne sont pas que cela !

En effet, si la crainte est dans l’air, il faut aussi ajouter que les personnes âgées ont présentement l’embarras du choix, comme nous le dit une spécialiste de la location :

Les personnes qui viennent nous visiter ne se cachent pas pour nous dire qu’elles « magasinent leurs résidences ». Avant, on allait habiter dans une résidence d’aînés parce qu’on ne pouvait plus vivre à la maison. Maintenant, on peut dire que c’est toujours la raison principale, mais la personne âgée a désormais plus de choix et choisit sa résidence avec beaucoup de soins. Elle est beaucoup plus renseignée et n’hésite pas à poser des questions pertinentes, à comparer les différentes formules d’hébergement qui lui sont proposées, seules ou accompagnées d’un enfant, afin de faire un choix éclairé …

Si le monde des RPA se transforme dans le contexte d’une société vieillissante où les mécanismes de contrôle se resserrent et la compétition devient parfois féroce, n’est-il pas normal que les résidents potentiels se transforment également ?

REFERENCES

(1) DUBUC, André, Les gestionnaires de résidences pour aînés sous pression, http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/immobilier/201101/12/01-4359236-les-gestionnaires-de-residences-pour-aines-sous-pression.php

(2) DUBUC, André, La caisse ferme une résidence pour personnes âgées à Saint-Laurent, http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/quebec/201105/12/01-4398529-la-caisse-ferme-une-residence-pour-personnes-ages-a-saint-laurent.php

(3) HARVEY, Réginald, Regroupement québécois des résidences pour aînés – Les résidences pour aînés se multiplient partout au Québec depuis 15 ans http://www.ledevoir.com/loisirs/habitation/316649/regroupement-quebecois-des-residences-pour-aines-les-residences-pour-aines-se-multiplient-partout-au-quebec-depuis-15-ans

L

es RPA sont de plus en plus présentes dans notre vie. Il y a désormais un registre des résidences pour l’ensemble du Québec, des mécanismes de contrôle de la qualité resserrés, des médias qui sont de plus en plus à l’affût et des publicités de RPA qui se trouvent un peu partout…

Jadis mystérieuses pour bien des gens, les résidences pour personnes âgées livrent peu à peu leurs secrets !

Si donc les résidents potentiels et leurs proches sont plus au fait de la problématique de l’habitation pour aînés en tant que dispensatrice de services aux personnes âgées, il faut dans ces conditions se demander si le discours qu’il faut employer pour les convaincre de venir habiter dans notre RPA ne doit pas être adapté à cette nouvelle réalité…

La question mérite au moins d’être posée à la lumière d’une recherche récente sur le contenu des sites web de résidences d’aînés (1).

Compte tenu qu’une RPA est nécessairement un lieu de vie substitut, les chercheurs on tenté d’

observer par quels moyens les différents types d’organisation tentent de suggérer l’idée d’un lieu confortable, adéquat à la vie quotidienne de la personne âgée (p.3)

Les chercheurs ont distingué deux types de résidences : la résidence de type hôtel et la résidence de type maisonnée. Dans ce dernier cas, selon les auteurs, le type de discours qu’on retrouve sur les sites web visités serait moins abstrait, c’est à dire moins basé sur la performance et plus sur l’individu :

Alors que les notions de bénéficiaires ou de clients sont mises à profit pour traiter du résident dans la première catégorie d’établissement, il y a préférence pour l’emploi des notions d’aînés et de personnes âgées dans ce deuxième type (…) Alors qu’il est question d’efficacité, de performance et de fonctionnalité dans les discours des résidences hôtel, dans le type maisonnée, les discours se caractérisent par des descriptions d’atmosphère humaine, de cadre de vie plus familiale. (p.5)

Or il semble que désormais, il ne suffit plus d’afficher une publicité pour assurer le succès d’une RPA…

Ainsi, pour survivre dans une société qui tend à se saturer de RPA et dans un contexte ou les résidents potentiels et leurs proches développent leur sens critique, on pourrait se demander si un nouveau discours adapté à cette nouvelle clientèle ne pourrait pas contribuer à apporter la stabilité dans le milieu des RPA ?

En d’autres termes, si la certification met en avant la notion d’efficacité, la notion d’atmosphère chaleureuse renvoie selon nous à celle de qualité de vie. Il est significatif de constater que dans cette étude, ces deux notions se retrouvent séparées dans deux types de résidences, soit les types hôtel et maisonnée… La question qu’on peut se poser est la suivante : comment s’adresser aux résidents potentiels en combinant de façon cohérente (et convaincante !) ces deux discours ?

REFERENCES

(1) PROULX, Sébastien et Philippe GAUTHIER, Emménager en foyer de retraite ; la peur de perdre sa personnalité, http://www.ifafiv.org/attachments/192_Sebastien%20Proulx%20and%20Philippe%20Gauthier%20-%20demenager%20en%20foyer%20de%20retrait.pdf

C'

est bien connu, on questionne peu les personnes âgées. C’est du moins le propos de gérontologues qui tentent précisément de leur redonner la parole, dans une perspective d’empowerment (voir BRP 41). Si cette situation semble prévaloir dans une RPA, comment en serait-il autrement lors de la conception d’un immeuble visant à accueillir des personnes âgées ?

Il y a pourtant un courant de recherche qui vise précisément à inclure le point de vue des utilisateurs dans la conception des bâtiments. L’une des expertes en la matière, Jacqueline C. Vischer, Professeure titulaire à l’École de design industriel de l’Université de Montréal, a écrit des articles qui peuvent intéresser les gestionnaires de RPA. Le sujet est trop complexe pour le résumer en quelques lignes mais nous y reviendrons dans des textes ultérieurs.

Lorsque l’on veut construire un bâtiment, bien souvent on se base sur le principe que le temps c’est de l’argent. On parle de phases de construction et de la rapidité à faire des bénéfices, mais on questionne bien peu les usagers, ce qui à long terme, peut être avantageux (2).

Lors de la conception, les designers, architectes et autres spécialistes utilisent le concept « Evidence-based design » (EBD), que l’on pourrait traduire par la « conception fondée sur la preuve ». Cette façon de concevoir un bâtiment s’appuie sur la médecine. Comment un médecin est-il en mesure de faire un diagnostic ? Il observe d’abord son patient puis il consulte la littérature scientifique existante. Le médecin s’appuie donc sur des « preuves » pour prendre des décisions éclairées…

Lorsque l’on construit un bâtiment, il est aussi possible de prendre des décisions éclairées si on consulte au préalable des données accumulées sur la satisfaction des usagers dans des bâtiments de même type déjà construits. De fait, des chercheurs se sont intéressés depuis des années au point de vue des usagers vivant dans un immeuble, que ce soit pour le travail ou pour d’autres raisons (2)

L’EDB est utilisé en particulier dans le milieu de santé. Pourquoi pas aussi dans celui de l’habitation pour aînés, puisqu’on doit y accueillir des personnes fragilisées et dont l’autonomie ne peut que diminuer ? Par exemple, lors de la construction d’une RPA qui a deux ou trois phases, lors de travaux de réfection sur une RPA existante ou lorsqu’un promoteur qui possède déjà une ou plusieurs résidences décide d’en construire une nouvelle… Dans tous ces cas, pourquoi réinventer la roue ?

C’est à suivre !

Références

(1) VISCHER, Jacqueline C., « Applying knowledge on building performance : From evidence to intelligence », Intelligence Building International, 1 (2009), pp. 239-248 http://www.gret.umontreal.ca/images/IBI%20article%20-%20final_%20oct09.pdf

(2) VISCHER, Jacqueline C., « Revaluating construction : building user’s perspective », http://www.gret.umontreal.ca/images/Vischer_Users%20Perspective_Revaluing%20Construction%20Oct04.pdf