L’EFFET DOMINO DES COMPRESSIONS BUDGÉTAIRES

C’

est un fait que l’un des problèmes majeurs de la gestion des résidences pour personnes âgées (RPA) en est un de ressources humaines (1).

Prenons le cas du CSSS Jeanne-Mance, qui centralise des ressources qui sont situées dans les arrondissements Plateau Mont-Royal et Ville-Marie. Il est présentement soumis à de sévères restrictions budgétaires dont les conséquences sont décrites dans un article de la revue Perspectives CSN (2). Les syndicats, bien sûr, protègent les travailleurs. Et lorsque ces travailleurs œuvrent (entre autres) auprès des personnes âgées, leurs réflexions peuvent avoir un écho auprès des gestionnaires de RPA.

Ce texte nous rappelle (le lecteur en conviendra !) qu’une RPA ou toute autre ressource d’habitation pour aînés n’agit pas en vase clos.

Un autre texte, provenant celui-là du Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM) a passé le commentaire suivant sur la situation :

Nous constatons avec inquiétude une réduction importante de la capacité des établissements à répondre aux besoins de la population et un recours grandissant aux familles, aux aidantes et aidants naturels, aux organismes communautaires ou encore à des entreprises privées ou d’économie sociale (4)

Les compressions budgétaires ont donc un effet domino.

En amont : une clientèle âgée moins bien desservie

Les coupures affectent évidemment les personnes âgées avant même qu’elles n’aillent habiter dans une RPA ou un CHSLD. Ainsi, il y aura moins de services pour le soutien à domicile, notamment pour l’aide au bain, le gardiennage ou l’accompagnement pour aller à l’épicerie.

Signalons aussi le service de la popote roulante qui accuse aussi une baisse de ressources. Or, on a beau vouloir maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible chez elles, encore faut-il des ressources appropriées. Or,

Si un usager est déclaré apte à se faire une toilette minimale à la mitaine, il ne pourra pas avoir accès aux bains. Sur certains territoires, les bénéficiaires ne recevront plus qu’un seul bain par semaine (…). Les services de gardiennage, qui permettaient aux aidants naturels de prendre quelques heures de répit, seront également abolis (2)

De plus, cette réalité au présent pose forcément un problème pour le futur puisqu’il y a aussi la question de la prévention qui est soulevée. S’il y aura à l’ avenir de plus en plus de personnes âgées, on souhaiterait évidemment qu’elles affichent une santé maximale.

En aval : des CHSLD affaiblis par les coupures

La fermeture du CHSLD Jacques Viger en 2007 a causé des problèmes, puisque de nombreux résidents, mais pas tous, ont dû être relocalisés. Notons ce paradoxe : d’un côté il y a une ressource jugée dangereuse et qui n’est pas rénovée faute des fonds nécessaires (encore une question de budget !) et de l’autre, il y a la clientèle âgée ; or, « Avant de fermer des lits de longue durée, il faut s’assurer qu’il y a de la place pour accueillir les patients ailleurs», a-t-on dit (3)

À la diminution des ressources matérielles s’ajoutent, avec ces coupures, une diminution alarmante du personnel. Par exemple, l’article de la CSN révèle que pour le cas des CHSLD Jean-de La Landes et Bruchési.

Au total, c’est un déficit de plus de 40 000 heures de soins dispensés aux usagères et usagers par des préposé-es qui sera occasionné. (…). Dans certaines unités, les abolitions de postes représentent jusqu’à 20% du nombre de préposés. (2)

Soulignons en passant les problèmes de sécurité qui se présentent autant pour les résidents que pour les employés, lesquels devant en principe effectuer des transferts deux par deux… Qu’advient-il alors de cette règle à la suite de coupures de personnel ?

Si bien que,

Comme les autres centres d’hébergement du CSSS seraient dorénavant voués à accueillir une clientèle lourde nécessitant plus de 3,5 heures de soins par jour, le programme de soutien à domicile devrait même être renforcé (2)

Ainsi donc, manque de ressources en amont et en aval. Et c’est alors que l’on se tourne vers les RPA…

Les RPA prises entre le domicile et les CHSLD ?

L’AQESSS vient tout juste de publier un document intitulé : 6 cibles pour faire face au vieillissement de la population (5). Concernant l’hébergement pour aînés, il est écrit :

(…) il devient de plus en plus difficile de déterminer pour certaines résidences s’il s’agit de domicile ou encore de milieu d’hébergement comparable au CHSLD. L’achat de place d’hébergement en résidences privées par le réseau public peut contribuer à créer, de fait, une certaine confusion
(…)
Il vaut mieux résister à la tentation de développer des lits permanents en CHSLD et investir dans les services à domicile et les ressources moins lourdes, comme les ressources intermédiaires.

La vision du personnel

Soumis aussi à des problèmes de personnel, les gestionnaires de RPA pourraient à tout le moins réfléchir sur ces paroles du président du syndicat :

Depuis le début, nous avons demandé d’être inclus dans les discussions visant la réorganisation du travail et des services (…). Est-ce qu’on ne pourrait pas s‘attaquer aux 10 millions octroyés chaque année au personnel d’agences, aux millions versés en heures supplémentaires plutôt que de réduire les services directs aux usagers ? (4)

Ainsi, les travailleurs ont leurs mots à dire lorsque que vient le temps de réorganiser les services dont ils seront les dispensateurs. Il est d’ailleurs significatif de constater qu’un communiqué de presse provenant du CSSS Jeanne-Mance, datant du 24 février dernier, annonçait que le recours aux agences privées avait considérablement diminué depuis un an, ce qui entre autres, apporte une plus grande stabilité du personnel et donc un meilleur suivi des usagers.

Il faudra bien qu’on écoute aussi les gestionnaires de RPA et leurs employés…

NOTES

(1) Voir revue L’Indice en ligne http://www.aineshebergement.com/indice/revue/v10-2/index.html

(2) LÉGER, François, Compressions budgétaires au CSSS Jeanne-Mance. Nivellement par le bas, Perspectives CSN, No32 (Janvier 2011), pp. 22-23. http://www.csn.qc.ca/c/document_library/get_file?uuid=c02e78e1-c31b-4f7c-aa5b-5acb0847eaf7&groupId=13943

(3) Quel avenir pour l CHSLD Jacques Viger ? Avec une vidéo : http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/archives/2010/01/20100104-191235.html#

(4) RIVARD, Sébastien, CSSS Jeanne-Mance. L’impact de coupures, Le Bulletin du RIOCM, Mai 2011, pp. 2-3. http://www.riocm.ca/assets/files/A%20la%20une/RIOCM_bulletin_mai_2011.pdf

(5) L’AQESSS, 6 cibles pour faire face au vieillissement de la population. http://www.aqesss.qc.ca/docs/public_html/document/Documents_deposes/six_cibles_vieillissement_rapport_2011.pdf

C’

est bien connu qu’un système informatique peut servir d’outil de gestion…

L’informatisation du système de santé

Dans un texte précédent, nous vous demandions si l’application d’une grille unique d’évaluation des soins à donner à vos résidents était souhaitable. L’un des avantages soulevés était le fait qu’une personne âgée vivant en résidence n’aurait qu’un seul dossier dans tout le système de santé (voir BRP no. 41).

L’avantage serait très grand, considère l’Association médicale du Québec, pour qui « Si l’information circulait aisément et efficacement entre les cliniques, les hôpitaux, les laboratoires et les pharmacies, les médecins pourraient traiter 20% plus de patients.» (3)

Mais on devine que dans l’ensemble du système de santé, la constitution d’un fichier informatisé regroupant l’ensemble des usagers n’est pas une mince affaire ; de fait,

L’informatisation des dossiers médicaux est un travail colossal qui constitue un véritable défi, tant sur les plans logistique, financier que pour le respect de la confidentialité. (2).

Si bien que le beau projet semble prendre du retard. Dans ces conditions, en attendant, ne pourrions-nous pas viser moins grand et nous demander si l’informatisation à l’échelle d’une RPA serait souhaitable ?

L’informatisation d’un RPA

Cette question nous a été inspirée par un article de la revue Synergie, publiée par l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) (1). Nous ne parlerons pas ici d’une grille d’évaluation informatisée de votre clientèle mais bien de l’informatisation des tâches que vos employés ont à effectuer quotidiennement.

Il faut vous dire que l’article en question ne concerne pas les RPA. Le système informatique dont il est question s’adresse plutôt à l’unité de traitement en oncologie de l’hôpital Charles LeMoyne. Mais pourquoi ne pas s’inspirer de bonnes expériences ?

Une expérience d’informatisation

Le logiciel s’appelle MedlQ. Avant son implantation à l’unité d’oncologie,
L’avenir ne s’annonçait donc pas rose pour l’oncologie, compte tenu de l’augmentation prévue des cas de cancer et celle, déjà constatée, de la durée des soins toujours plus complexes (…). Et pourtant, nous avions l’impression d’être débordés, et ce, malgré de nombreuses heures supplémentaires (1) (p. 24)

Mais l’avenir est-il plus rose pour les RPA ? Ici comme ailleurs, il y a une « augmentation prévue » de résidents en perte d’autonomie et ce phénomène affecte déjà les RPA. Songez simplement aux résidents que vous hébergez toujours parce qu’il n’y a pas de places en CHSLD !

Et lorsqu’une RPA ou un CHSLD est pointé du doigt, les critiques s’appuient généralement sur des preuves chiffrées. Par exemple : nous parlons d’heures soins non fournis ou du nombre de bains par semaine, auxquels a droit un résident… Et les organismes attaqués rétorquent en utilisant eux-aussi des chiffres, alléguant un manque de ressources. C’est donc dire qu’une partie du problème peut être comptabilisée et donc… évaluée et planifiée !

Imaginons donc que vous avez évalué (au moyen d’une grille peut-être informatisée) les soins et services à prodiguer à chacun de vos résidents. Il vous reste à coordonner le travail de vos employés, de façon à maximiser leurs interventions. D’après l’article consulté, l’expérience de l’unité d’oncologie avec le logiciel MedlQ pourrait se résumer à ceci :

  • La création d’un comité interprofessionnel
  • L’implication de tous (employés et patients)
  • L’évaluation de la trajectoire d’un patient
  • La gestion de la répartition du travail
  • Une démarche qui vise à connaître à l’ avance les charges de travail

Pour le cas de l’unité d’oncologie, en tout cas, l’expérience semble concluante, puisqu’il y eut effectivement augmentation de la performance, avec en plus une diminution des heures supplémentaires.

Mais est-ce qu’un logiciel de gestion adapté aux exigences du travail en RPA serait utile ? On parle souvent de chaleur humaine en RPA. Or un système informatique ne panique pas devant le manque de ressources ou devant la somme de travail à effectuer. Il se contente d’évaluer froidement ce qu’il y a à faire, compte tenu des ressources disponibles et des tâches à effectuer. Ce serait alors aux intervenants (préposés, infirmières, etc.)à humaniser des tâches qui auront au préalable minutieusement définies et planifiées, pour chaque résident.

On pourrait rétorquer qu’un tel système serait inutile dans de petites RPA ou celles qui n’accueillent que des personnes autonomes. Mais devant le problème du personnel, trop rare et pas assez formé, l’alourdissement de la clientèle, les contrats de RI, la disparition de plusieurs petites résidences qui n’ont pas survécu à la certification, on peut au moins se demander si un tel système informatique ne serait pas éventuellement, à considérer…

Qu’en pensez-vous ?

REFERENCES

(1) JOUISSET, Guillaume, « L’organisation, première source d’amélioration ? », Synergie, avril 2011, pp. 23-25.

(2) BELAIR-CIRINO, Marco, « Le listes d’attente s’allongent», http://www.ledevoir.com/societe/sante/318174/les-listes-d-attente-des-chsld-s-allongent

(3) BRETON, Brigitte, « Un réseau débranché» http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/opinions/editoriaux/201103/23/01-4382494-un-reseau-debranche.php

Un article sur l’exclusion

Un récent article publié par la Revue de droit de l'Université de Sherbrooke est consacré aux personnes marginalisées. Les auteurs soulignent un fait troublant : au nom des droits de la personne, il y a danger que ces mêmes droits soient bafoués. En effet,

La marginalité, conceptualisée ici comme une manifestation des inégalités sociales attribuables, entre autres, au droit et aux politiques sociales et sanitaires, devient dans ce cadre un véritable marqueur des inégalités sociales de santé et vive versa. Le risque associé au mode de vie des personnes marginalisées ainsi que sa gestion constitueraient la pierre angulaire d’un mécanisme par lequel les inégalités sociales se traduisent en inégalités sociales de santé et tendent, par le fait même, à entretenir la marginalité et l’exclusion. (3) (p.3-4)

Les auteurs décrivent en détails ce processus d’exclusion. Nous vous invitons à en prendre connaissance. En gros (et au risque de simplifier à l’excès), disons qu’en cherchant à respecter les droits des personnes marginalisées, on en vient parfois à leur enlever toute forme d’autonomie, par exemple pour des cas de santé (mentale ou physique) ou de problèmes psychiatriques. Dans certains cas, elles sont jugées inaptes à prendre soins d’elle-mêmes et dans d’autres cas, sont jugées responsables de leurs problèmes. Ainsi,

Le discours sur la responsabilité individuelle (…) permet d’éluder subtilement les questions concernant les conditions de vie des plus démunis ainsi que la responsabilité collective les concernant (3) (pp. 8-9)

L’âgisme dans les RPA

Il est à noter qu’on ne parle pas, dans cet article, des personnes âgées. Et pourtant, ces dernières sont aussi marginalisées. Louis Plamondon fait remarquer que :

On arrive à croire que la vieillesse réserve des conditions de privation inéluctable et cette croyance est perçue et décrite idéologiquement comme le résultat d’un destin individuel, tel un échec de la prévoyance personnelle (2) (p.51)

Notez la similarité de ce passage avec le précédent ! L’exclusion des personnes âgées a un nom : c’est l’âgisme, qui est défini par Louis Plamondon comme étant

(…) l’ensemble des institutions sociopolitiques, économiques, juridiques et symboliques ainsi que les comportements individuels ou collectifs qui pratiquent ou légitiment l’exclusion des personnes âgée du travail, de la vie sociale ou de leur appartenance citoyenne. (…). Comme le sexisme et le racisme, l’âgisme se sert de caractéristiques biologiques pour justifier des différences de statut entre un groupe de personnes et les autres, pour administrer l’accès des droits ou services et même pour justifier des comportements abusifs. (2) (p. 49)

Concentrons-nous sur le milieu des RPA et demandons-nous s’il n’y aurait pas danger qu’une RPA contribue à l’ exclusion des aînés. Il n’est pas question ici de faire le procès des RPA ni de rappeler toutes les formes que peut prendre l’âgisme en résidence, mais bien de rappeler que, selon l’article 48 de la charte des droits et libertés,

Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation. Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu (cité dans (1) p. 17)

On saisit du même coup toute la responsabilité d’un gestionnaire de RPA, et tout le mérite de ceux qui s’attèlent à la tâche avec ardeur. Revenons maintenant à notre article consacré à l’exclusion et voyons son intérêt pour la gestion d’une RPA.

Un modèle…

Les auteurs ont l’intime conviction

(…) que c’est à partir de la voix des personnes marginalisées que les concepts de marginalité, de santé, de risque et de vulnérabilité peuvent se redéfinir et évoluer dans l’imaginaire collectif pour dépasser les préjugés et les réponses paternalistes inadaptées qui souvent augmentent les risques ou en induisent des nouveaux (3) (p.28)

Ils proposent 5 étapes susceptibles de socialiser les normes des droits de la personne (3)(pp.26-29). Les voici :

  1. La connaissance de leurs droits par les personnes marginalisées
  2. Leur revendication
  3. La participation des personnes marginalisées
  4. La socialité (=« liens relationnels existant entre les personnes marginalisées elles-mêmes et entre elles et les acteurs engagés qui évoluent à leur côté »)
  5. L’inclusion (=« les actions qui ont un impact sur l’individu et sur la société et qui sont destinées à permettre à toute personne de participer pleinement à la collectivité et d’avoir accès aux services dont elles ont besoin »)l

Comment ces 5 étapes pourraient-elles être intégrées aux pratiques de gestion dans une RPA en vue d’aider les résidents ? Évidemment le point 5 est le but ultime. Mais nous nous demandons si ce schéma correspond parfaitement bien à la situation d’une RPA, qui est, en quelque sorte, le cadre de la socialité pour une personne âgée en perte d’autonomie, comme si tous les autres points en découlaient. Si c’est effectivement le cas, ce schéma souligne toute la responsabilité du gestionnaire de RPA qui devrait l’intégrer, d’une manière ou d’une autre, dans son plan de gestion…

C’est aux gestionnaires de trancher…

Références

(1) CHARPENTIER, Michèle, Vieillir en milieu d’hébergement. Le regard des résidents, Presses de l’Université du Québec, 200

(2) PLAMONDON, Louis, L’âgisme peut-il être meurtrier ? Vie et vieillissement, Vol.7, No.2, 2009, Disponible à l’adresse suivante : http://www.rifvel.org/_quebec/agiste_meutrier.pdf

(3) VEZINA Christine, Emmanuelle BERNHEIM et al. Risque de santé et populations marginalisées : réflexion interdisciplinaire sur la centralité des droits de la personne dans le statut citoyens. http://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/volume_40/articlecommun.pdf