Par Pierre Tardif

« Y a-t-il des aspects positifs au rôle d'aidant? » C'est par cette question que s'ouvre l'une des sections d'un livre important intitulé Famille et soins aux personnes âgées (1). Bien sûr l'auteure, Francine Ducharme, qui est titulaire de la Chaire Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille (2), répond oui à cette question. Mais un peu d'aide est toujours bienvenue… Tout son livre en est le plaidoyer éloquent ! 

Le premier élément à considérer : la famille

D'entrée de jeu, l'auteure préfère parler d'« aidants familiaux », groupe qui comprend « l'aidant principal, souvent une fille ou une conjointe, et ses frères et sœurs, une famille en somme, dont tous les membres sont aussi affectés par la perte d'autonomie d'un parent âgé ». Il ne s'agit donc pas d'un rapport aidant-aidé, mais plutôt d'un rapport famille-aidé : « Généralement, un professionnel de la santé intervient sur la personne âgée. Mais moi je dis que c'est la famille qui devrait être son client : on ne devrait pas considérer uniquement la personne âgée, mais l'ensemble de son système familial. »

Mais qui sera l'aidant principal ? « Il y en a qui ne voudront jamais soigner, insiste Mme Ducharme, et moi je pense qu'il faut respecter ça. La politique de soutien à domicile est très claire là-dessus. Quand on soigne par obligation, on est souvent en état de plus grande détresse. » La « carrière » (terme tout à fait approprié) s'impose à l'« élu(e) » comme une évidence; elle débute souvent, nous confie-t-elle, « au moment où l'on apprend le diagnostic. C'est à ce moment qu'on se dit : Là, j'en ai pour de nombreuses années ! Je dois apprendre à me débrouiller avec les services, devenir un expert auprès de mon parent, m'adapter à son évolution et même l'épauler dans ses derniers moments de vie. »

On ne naît donc pas aidant, ce n'est pas si « naturel », on le devient ! Il faut apprendre à utiliser les ressources disponibles, et c'est de cela dont il est question dans ce livre (3). Et dans ce contexte, ne vaut-il pas mieux bien faire dès le début ? Car mieux vaut prévenir que guérir (4) !

Une carrière d'aidant

L'aidant deviendra donc peu à peu un « expert ». Dès lors, face au système de santé, il dira souvent « c'est moi qui le sais ». Par ailleurs, il sera souvent réticent à utiliser les ressources pour ses propres besoins, car « les services, écrit Mme Ducharme, seraient peu adaptés aux besoins particuliers des familles qui soutiennent un parent âgé, mais, plus encore, une logique familiale de soutien qui perdure toujours ferait en sorte que l'on a recours à des services uniquement "lorsqu'on n'en peut plus" » (p. 19).

Or les dangers d'une telle attitude sont bien réels. L'aidant dira souvent, devant des membres de sa famille qui veulent faire leur part, « je suis fatigué mais c'est moi qui est capable de faire ça ». Et pourtant, selon Mme Ducharme, le conflit dans la famille relatif aux soins est une autre source de stress pour l'aidant. Jusqu'au placement qui est « la décision la plus difficile à laquelle sont confrontés les aidants familiaux au cours de leur carrière, une décision qui conduit souvent à une véritable situation de crise familiale » (p. 21-22).

Finalement, l'aidant principal, exténué, sentira que personne ne l'aide. Voici donc que Francine Ducharme rappelle aux aidants de ne pas oublier les ressources qui existent autour d'eux… « Sinon ils vont y laisser leur santé ! » Et ce besoin de soutien perdure après le décès du parent, car l'aidant se demandera alors « et maintenant… qui suis-je ? » L'aidant vivra en effet un double deuil : celui de la personne aimée et celui de sa carrière d'aidant… autour de laquelle sa vie était centrée depuis plusieurs années. Tous ces aspects, et bien d'autres, sont traités dans le livre de Francine Ducharme, condition sine qua non pour cerner le plus précisément possible la réalité complexe des aidants familiaux et promouvoir leur rôle essentiel dans la société.

Visions d'avenir…

L'aidant a donc besoin d'aide à toutes les étapes de sa carrière. Or la prise de conscience de ce fait par les dirigeants constituera un virage majeur et nécessaire sur le plan des attitudes : « Pour modifier les services tels qu'ils sont conçus présentement, écrit Francine Ducharme, c'est principalement un changement dans les valeurs de la pratique professionnelle qui est requis, changement au profit d'une responsabilité clinique au regard des soins aux aidants familiaux » (p. 197). En optant pour cette vision des choses, on en arrivera, selon l'auteure, à « l'implantation d'un système intégré de soins qui inclurait les familles » (ibid.).

Dans le contexte de structures familiales de plus en plus complexes et d'une population de plus en plus âgée, elle imagine la société du futur fondée sur l'entraide. Et pourquoi cette entraide collective, appliquée aux soins aux aînés, ne pourrait-elle pas éventuellement impliquer plusieurs familles ?

Rien dans ce livre qui n'ait été préalablement vérifié et validé par la recherche scientifique. Mais sa prose, simple et accessible, convaincra les aidants familiaux qu'ils ne sont pas seuls… Par ailleurs, ce livre offre une réflexion sur la nature de l'entraide, dans le contexte d'une utilisation judicieuse des ressources humaines et matérielles. Ainsi ce livre est porteur d'espoir pour nous tous, pour le présent… et l'avenir.

Pierre Tardif

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