Si le monde vieillit, sans doute que la vision que l'on a du monde devrait changer, s'ajuster en conséquence et c'est ce qui se passe effectivement. En effet, il semble que nous soyons lentement en train d'accepter la présence de ride et de cheveux gris et faire avec! Ainsi, de plus en plus d'agences de mannequins recrutent des personnes âgées, comme l'agence Masters Model, dirigée par Sylvie Fabregon. Or, comme la publicité se veut le reflet de la société, un peu comme son miroir, observer les mannequins qui figurent dans les publicités c'est un peu comme jeter un regard sur ce que nous sommes… ou ce que nous croyons être ?
En ce sens, cette dame confiait à la journaliste de La Presse, Katia Chapoutier (1), des commentaires qui sont de nature à susciter diverses questions. Ces commentaires sont les suivants :
« On remarque qu'aux Etats-Unis, il y a ce culte de la jeunesse. En France, en revanche, on accepte le charme. Et du coup, c'est plus facile d'envisager des publicités avec des gens d'un certain âge. Par contre, je ne veux pas de mamie liftée. Une ou deux à la rigueur, au cas où on m'en demanderait. Mais ces femmes ne travailleront jamais pour des cosmétiques, elles se trompent. Elles ne sont pas représentatives de la beauté »
Premièrement, cette dame fait une distinction entre jeunesse et charme, ce dernier étant accessible aux mannequins plus âgés. Et la beauté? En aucun cas la beauté semble à ses yeux l'apanage d'un groupe d'âge, la beauté pouvant vraisemblablement provenir autant de la jeunesse que de la vieillesse. L'agence que dirige cette dame serait donc une manifestation de cette vision qui fait peu à peu son chemin dans le monde de la consommation…
Deuxièmement il y a la question de la représentativité. La « mamie liftée » (selon ses termes) ne lui semble pas représentative, peut-être un peu comme si cette personne se situait en quelque sorte entre la jeunesse et le charme, c'est-à-dire… nulle part? Il ne s'agit sans doute pas de condamner le lifting mais simplement d'en conclure que dans une société vieillissante, il faudra bien un jour apprendre à transcender notre « peur des rides », une peur bien compréhensible dans une société « jeune » mais tout à fait vaine, dans une société vieillissante …
Troisièmement, il y a la question de la culture. Pour quelle raison les Etats-Unis sont plus fervents de jeunesse que de charme? Est-ce une question de cette culture véhiculée par le « rêve américain» (qui cache, nous le savons, de nombreuses tares) où simplement le fait que les Etats-Unis n'ont pas encore « accepté » le vieillissement? Une chose est sûre, c'est que dans ces conditions, de moins en moins de personnes vont se reconnaître dans les magazines qu'elles lisent… On pourrait aussi se demander (ce serait à vérifier) si le culte de la jeunesse ne serait pas une façon détournée d'accélérer la mort puisque hors de la jeunesse point de salut, ou très peu de salut en tout cas!
Quatrièmement, il y a la question de l'expérience qui vient avec l'âge et qui, sans doute, joue en la faveur des gens plus âgés. « Et oui, avec les années, ces gens ont forcément des histoires intéressantes », dit Madame Fabregon. Et il semble évident que ce vécu fait partie de ce « charme » des personnes âgées, cette faculté de relativiser les choses de la vie « puisqu'on en a vu d'autres » a quelque chose de rassurant, d'apaisants pour les générations plus jeunes qui peuvent s'appuyer sur cette sagesse. Ce que l'on perd en jeunesse on le gagne en expérience et dans ces conditions qui dit que l'expérience ne peut pas être charmante?
Bien entendu, tout cela ne doit pas cacher les aspects souvent négatifs du vieillissement. Mais avouons que bien que dramatique, le vieillissement n'en est pas moins susceptible de générer du bonheur, voire de la beauté. Ainsi le vieillissement n'est pas synonyme de laideur ou d'enlaidissement. Une société vieillissante visera donc à mettre en évidence la beauté inhérente au vieillissement, sous peine de se mentir à elle-même quant à son propre vieillissement, ce qui est peut-être la véritable laideur!
Une dernière question est celle, bien entendu, du rapport entre les hommes et les femmes. Si les choses évoluent vers une acceptation du vieillissement est-ce que le rapport des sexes restera le même en vieillissant? Autrement dit, une ride ou une mèche grise a–t-elle la même « valeur » selon que ce soit un homme ou une femme qui la porte? La réponse est tellement évidente que la question paraît simpliste! Et pourtant on pourrait se demander si l'ouverture (= acceptation) de la société à son propre vieillissement ne pourrait pas être l'occasion d'une remise en situation des rapports entre les sexes, étant donné que nous sommes tous « égaux » face au vieillissement et qu'en plus, les femmes vivent plus longtemps que les hommes, les aidants naturels sont majoritairement de sexe féminin, etc… Tout cela (et bien d'autres choses) appelle certainement une réflexion en profondeur de notre société.
Pierre Tardif
(1) CHAPOUTIER, Katia, « Mannequins nouveaux », La Presse, 15 septembre 2005, cahier actuel, p. 1.
Pierre Tardif
Rédacteur
ptardif@aineshebergement.com
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